Que choisir - Mensuel n° 407 - septembre 2003

Vaccins : l'aluminium sur la sellette

Il y a dix ans, on découvrait une nouvelle lésion musculaire. Le coupable : l'aluminium ajouté aux vaccins pour augmenter leur efficacité. Les personnes atteintes de cette affection souffrent de douleurs et de fatigue intenses. Faut-il revoir le procédé de fabrication de certains vaccins ?

Mai 1993, le Dr Michelle Coquet, neuropathologiste(1) à Bordeaux (33), effectue une biopsie musculaire sur une femme souffrant de douleurs rebelles inexpliquées. «En vingt ans, se souvient-elle, je n'avais jamais vu une telle lésion musculaire. Elle était constituée par des amas de macrophages. Ces derniers sont, en quelque sorte, les éboueurs chargés de faire disparaître les intrus (microbes, virus) au sein des cellules. Les macrophages renfermaient une substance inconnue, bien visible au microscope électronique sous forme de cristaux très noirs.» À la fin de l'année, Michelle Coquet présente le cas à ses confrères qui, comme elle, ignorent la nature de ces lésions. C'est ainsi que commence un véritable polar scientifique avec son lot de découvertes et d'énigmes non résolues.

Des lésions inconnues

De 1993 à fin 1997, dix-huit cas sont détectés dans quatre centres de pathologie musculaire français. Et, en 1996, les spécialistes lui donnent le nom de «myofasciite à macrophages» (myo : muscle ; fasciite: fascias, c'est-à-dire l'enveloppe des muscles). Deux ans plus tard, la pathologie est décrite dans la revue internationale, The Lancet (2). «À partir de 1997, se souvient le Pr Patrick Chérin, chef du service de médecine interne à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), les centres qui font de la biopsie musculaire ont fait une veille sanitaire. Ils ont aussi repris toutes les lames de biopsie qu'ils avaient en stock depuis des années.» L'initiative révèle qu'il y a de plus en plus de cas et que toutes les lésions sont bien postérieures à 1993. «Parallèlement à une histologie très particulière, poursuit le Pr Chérin, tous ces patients avaient des douleurs musculaires et articulaires diffuses, une fatigue très intense ainsi que des troubles de mémoire, de concentration et du sommeil.» Malgré l'existence bien réelle de cette lésion musculaire, le mystère reste entier. D'où provient-elle? Quelle est la substance découverte dans les muscles ? Et cette lésion est-elle responsable des troubles dont se plaignent les patients atteints de cette nouvelle myopathie? Origine virale, toxique, infectieuse, toutes les hypothèses sont envisagées, mais aucune n'est validée. En 1999, une découverte cruciale est faite par Philippe Moretto, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à Bordeaux: les inclusions se révèlent être de l'aluminium. Du jamais vu pour tous les spécialistes de la pathologie musculaire. Le Pr Romain Gherardi, chef du département de pathologie de l'hôpital Henri- Mondor de Créteil (94), passe alors en revue tous les médicaments qui en contiennent.
En pratique Où se cache l'aluminium ?
La quasi-totalité des vaccins contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, l'hépatite A et l'hépatite B, seuls ou combinés, contiennent de l'hydroxyde d'aluminium. Exceptions: le TP Pasteur (tétanos, poliomyélite) et le DTP Pasteur (diphtérie, tétanos, poliomyélite). Les autres vaccins ne sont pas concernés.

L'OMS exige le secret

Comme on trouve de l'aluminium dans le muscle mais pas dans le sang ou les urines, le Pr Gherardi pense à une intoxication locale. Quel produit, sinon le vaccin, est injecté dans le muscle, précisément dans le deltoïde (au niveau de l'épaule)? Pour en avoir le coeur net, le Dr Jérôme Authier, qui travaille dans le service du Pr Gherardi, injecte un vaccin contenant de l'hydroxyde d'aluminium à des rats.Mais, avant même les résultats de cette expérience, les échos de l'affaire étaient parvenus jusqu'à l'Organisation mondiale de la santé (OMS). À deux reprises, en 1999 en 2000, elle convoque les protagonistes des études effectuées sur le sujet. «Nous sommes passés devant un véritable jury, raconte le Dr Coquet. Il était composé de spécialistes de la vaccination et des plus grands pathologistes américains. La discussion fut assez dure et ils nous ont demandé de ne pas en divulguer la teneur.» L'origine française quasi-exclusive des cas de myofasciite à macrophages faisait douter les experts de l'OMS. Mais un spécialiste américain permit de dissiper le trouble. Les Anglo-saxons effectuent leurs biopsies dans la jambe et non pas dans le deltoïde, comme les Français. C'est donc parce que, dans l'Hexagone, on effectue les prélèvements près du point d'injection des vaccins que la myofasciite a pu être découverte. Autre explication, les formidables campagnes des années 1994-1995 qui se sont soldées par des millions de vaccinations contre l'hépatite B. Ce qui a augmenté mathématiquement les probabilités d'apparition de séquelles rares. Au terme des deux réunions, les experts de l'OMS reconnaissent officiellement que les lésions sont probablement dues aux vaccins. Mais, pour prouver le lien entre la myofasciite et les symptômes, il fallait effectuer une étude épidémiologique, comparant des personnes biopsées présentant ou non une myofasciite. C'est exactement ce qu'a recommandé, en France, l'Institut de veille sanitaire (IVS) en conclusion d'un rapport publié en octobre 2001. Cinquante-trois patients présentant une myofasciite à macrophages avaient été soigneusement interrogés. Sur ce total, 70% d'entre eux étaient âgés d'au moins quarante ans et tous disaient souffrir de douleurs musculaires et de fatigue. Au terme d'une enquête minutieuse, la seule particularité trouvée fut le taux de vaccination contre l'hépatite B. 68% des patients atteints de myofasciite étaient vaccinés, alors que, dans cette tranche d'âge, seuls 30% le sont dans la population générale. L'affaire était entendue: il y avait bien une association entre cette vaccination et les lésions de myofasciite à macrophages. L' IVS a passé le dossier à l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) qui a mis en place une étude épidémiologique au début de l'année dernière.
Il y a deux ans, les résultats des expériences pratiquées sur les rats à Créteil par le Dr Authier furent publiés: l'injection de vaccins contenant de l'aluminium avait bien permis de reproduire les lésions de myofasciite. Le puzzle était reconstitué: les vaccins contenant de l'aluminium sont bien capables de créer des lésions d'un type particulier. Une autre étude, publiée fin 2001, montrait en outre que les patients de myofasciite appartenaient le plus souvent à un certain type génétique. «La solution est venue de deux soeurs jumelles âgées d'environ cinquante ans, dont on pensait qu'elles souffraient de polyarthrite, explique le Pr Jean-François Pellissier, chef du service de biopathologie nerveuse et musculaire à la faculté de médecine de Marseille (13). En recherchant leur système HLA, qui est la combinaison des gènes propres à chacun, on a trouvé le gène correspondant à cette maladie. La biopsie ayant révélé qu'elles avaient des lésions de myofasciite, j'ai fait rechercher l'anomalie propre à la polyarthrite chez un petit nombre de patients à myofasciite. Je l'ai trouvée chez les deux tiers d'entre eux alors qu'elle est présente chez environ 17% des personnes en bonne santé dans la région.»


L'aluminium coupable

Malgré toutes ces découvertes, le lien entre ces lésions et le déclenchement de certains troubles n'a toujours pas été établi. Les résultats de l'étude épidémiologique mise en route par l'Afssaps début 2002 devaient être rendus publics à la fin de l'année dernière, puis au premier trimestre 2003. On nous les annonce maintenant pour fin 2003... Mais, avant même d'en connaître les conclusions, des spécialistes émettent des doutes sur la possibilité d'arriver à des conclusions solides en raison du nombre très faible de patients retenus par l'étude. Si on arrive à apporter la preuve que les lésions de myofasciite sont la cause des troubles dont se plaignent les patients, il faudrait logiquement remplacer l'aluminium par un autre adjuvant. Un coût considérable pour les fabricants de vaccins. qui considèrent que l'aluminium est un très bon stimulateur de l'immunité. Et quand on se souvient que la campagne de vaccination du milieu des années quatre-vingt-dix a été entièrement déléguée aux laboratoires par les autorités sanitaires, on peut légitimement mettre en doute la réelle volonté du gouvernement d'avancer sur ce point épineux. Cet état de fait est d'autant plus regrettable qu'évacuer le problème, c'est se priver de voies de recherche dans le domaine de l'immunologie. Ainsi, le Pr Gherardi a trouvé chez les patients atteints de myofasciite une augmentation des cytokines, signe d'une activation chronique du système immunitaire. On retrouve cette élévation dans différentes maladies caractérisées par un déficit immunitaire : sida, cancers, hépatite C... «Les cytokines sont impliquées dans tous les systèmes de connexion entre les systèmes immunitaire, endocrinien et nerveux. Ces phénomènes mériteraient des recherches sur les lésions dues à l'aluminium mais tous les projets dans ce domaine se voient refusés», s'insurge le Pr Gherardi. «Pourtant, indique Pascale Giraudon, spécialiste en neuroinflammation et en neurovirologie à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à Lyon (69), les cytokines communes au système immunologique et au système nerveux sont actuellement un sujet de recherche brûlant. On peut imaginer que, chez certaines personnes qui ont un système de régulation déficient, une stimulation externe puisse entraîner le passage des cytokines dans le système nerveux, qui normalement les détruit. C'est ce qui se passe dans de nombreuses infections virales: les cellules participant à l'immunité et qui sont infectées par un virus entrent dans le cerveau. Le virus s'y multiplie et entraîne des troubles cognitifs (mémoire, concentration...)»

Prédispositions génétiques

On retombe alors sur la question de la susceptibilité génétique du système immunitaire. La réaction immunitaire normale se fait en deux temps: d'abord, une production de lymphocytes et d'anticorps ; ensuite, le développement d'autres cellules qui vont stopper cette réaction. Mais, chez certaines personnes prédisposées, un agent extérieur, qui peut être l'aluminium, est susceptible d'entraîner un dysfonctionnement de ce processus. Peu importe, si, comme le suggère François Verdier, responsable de l'évaluation préclinique des vaccins chez Aventis-Pasteur, l'aluminium est le témoin de ce dysfonctionnement et non pas la cause : il est bien sur la sellette. En résumé, dit Pascale Giraudon, «l'aluminium appuie trop fort sur le premier bouton qui stimule la réaction immunitaire et comme le deuxième, censé l'arrêter, fonctionne mal, on a beau appuyer dessus, la réaction continue... Ce qu'il faut remettre en cause, c'est l'adjuvant aluminique. A-t-on vraiment besoin de pousser à bout la réponse immunitaire ?» Bonne question, en effet. Mais, en attendant cette mise en cause salutaire, au demeurant peu probable, il est impératif d'être circonspect vis-à-vis des vaccinations contenant de l'aluminium, en particulier la vaccination contre l'hépatite B. De fait, les personnes ayant des antécédents de maladie auto-immune ou des parents souffrant d'une telle affection devraient s'abstenir d'y recourir.

Témoignage «Je n'étais jamais malade»

En 1996, Alain Faudier, quarante-quatre ans, est installé depuis quelques années à La Ciotat (13) comme peintre-décorateur. «Mon métier me plaisait, je travaillais beaucoup à l'époque, je n'étais jamais malade», se souvient-il. Il est contraint de se faire vacciner contre l'hépatite B, sa femme étant assistante maternelle. Quelques mois plus tard, Alain se sent très fatigué, puis souffre de douleurs musculaires. D'examens en examens, tous négatifs, il se voit coller l'étiquette de fibromyalgique. Il raconte: «Le médecin qui me suivait pensait que je ne voulais plus travailler. Pour beaucoup de médecins, c'était "dans la tête".» Supportant très mal l'absence de diagnostic malgré des troubles de plus en plus importants, Alain accueille très bien l'annonce en juin 2002 de sa myofasciite à macrophages. Contraint de cesser son travail, il est actuellement considéré comme invalide à 66%. Depuis un an, son état a empiré, il souffre de gros troubles de sommeil. Ayant rejoint l'association Entraide aux malades de myofasciite à macrophages, il milite pour attirer l'attention des médecins sur cette affection. «Dans la région, regrette-t-il, les malades n'arrivent pas à être reconnus comme invalides. Certains médecins auxquels j'ai donné de la documentation m'ont dit: "je ne veux pas la lire"...»
Alain Faudier, La Ciotat (13)


Témoignage «On aurait dit une petite grand-mère»

En 1993 et 1994, Rébecca, alors adolescente, subit les trois injections contre l'hépatite B et le rappel. «Quelques années après, explique sa mère, Michelle Madonna, ma fille a commencé à souffrir d'une intense fatigue, elle dormait d'un sommeil comateux. Au début de l'année 2000, son état s'est aggravé brusquement et, depuis cette époque, elle n'est plus jamais sortie seule. On aurait dit une petite grand-mère, son teint était cadavérique, je pensais qu'elle allait mourir.» Malgré les apparences, tous les examens étaient normaux. Le médecin de Rébecca reste néanmoins convaincu que son problème n'est pas psychologique. En juillet 2000, la jeune fille subit une biopsie qui donne le diagnostic de myofasciite. Sa mère rentre alors en contact avec les spécialistes de cette lésion et fonde sa propre association (1). Aujourd'hui, Rébecca vit au ralenti. Elle poursuit ses études grâce au Centre national d'enseignement à distance mais ne reçoit aucune aide. Rébecca a une demi-soeur, également vaccinée contre l'hépatite B: elle a développé une sclérose en plaques.
Michelle Madonna, Villenave-d'Ornon (33)

(1) Ammam : Association des malades de la myofasciite à macraophages, 37, chemin de Leyran, 33140 Villenave-d'Ornon. Tél. : 05 56 87 55 89. L'Ammam fait partie d'Alliance maladies rares, qui compte 138 associations.

Témoignage «Une invalidité à 80 %»

«On nous avait dit que l'hépatite B pouvait s'attraper par la salive, se souvient Patricia Baslé. Ma mère ayant contracté cette maladie, mon mari et moi-même nous nous sommes faits vacciner en janvier 1996. Très rapidement, j'ai ressenti une fatigue qui s'est peu à peu intensifiée. Moi qui allais aux champignons dix-huit heures par semaine, qui faisais de l'artisanat, de la peinture, je ne pouvais plus rien faire. Je devais dormir plusieurs heures en rentrant du travail. Puis sont arrivées les douleurs musculaires et articulaires ainsi que les problèmes de mémoire et de concentration. Je n'arrivais plus à conduire, j'étais de moins en moins fiable dans mon travail de comptable.» Commence alors la série des examens, tous négatifs. À la suite d'une petite opération, Patricia se sent épuisée. Hospitalisée au CHU de Dijon pour une suspicion de myasthénie, elle subit une biopsie musculaire qui révèle une myofasciite à macrophages. Comme on ne lui propose aucune solution, elle rentre en contact avec un autre malade sur Internet et consulte le Pr Patrick Chérin à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Elle y subit régulièrement de nombreux examens. Le traitement? «Le repos, l'évitement de tout souci sont les seuls remèdes car le stress, l'angoisse sont des mangeurs fabuleux d'énergie. Il faut arriver à accepter la maladie, du moins en partie.» En arrêt longue maladie depuis juin 2001, Patricia est reconnue invalide à 80% par la Cotorep. En 2002, Patricia a repris la présidence de l'association Entraide aux malades de myofasciite à macrophages(1), malgré cette vie au ralenti forcée.
Patricia Baslé, Vitteaux (21)

(1) EMMM : 25, rue de Verdun 21350 Vitteaux. E-mail : [email protected], Tél : 03 80 33 92 98. L'EMMM et l'Ammam, l'autre association ont déposé environ 80 plaintes auprès de la juge parisienne Marie-Odile Geffroy et ont entamé quelques actions en responsabilité civile.

(1) Spécialiste de l'étude au microscope des tissus musculaires et nerveux.
(2)«Macrophagic myofasciitis : An emerging entity», The Lancet, 1/8/98.

Catherine Sokolsky